En voilà un sacré sujet tabou ! Et pourtant, sujet si souvent récurrent au cœur de nos interventions scolaires, de nos conférences, de nos entretiens individuels qu’il me semble très important de vous en parler.
Comme disait notre regretté Pierre Desproges :
« La pornographie on a du mal à la définir, mais dès qu’on la voit, on la reconnaît tout de suite ! »
Ambivalent sujet car il répond à la curiosité que suscite la sexualité, et il procure en même temps des émotions souvent paradoxales, telles que la honte et le plaisir, l’excitation et la culpabilité. La pornographie rend curieux, elle excite, elle amuse et en même temps elle dérange, elle dégoûte, elle inquiète.
Pornographie vient du grec « porné graphein ». « Porné » désigne la prostitution et « graphein », le fait de décrire. Etymologiquement, la pornographie est donc la représentation physique du sexe, sans sentiments. Sa corrélation avec la prostitution est intéressante puisque ces représentations sexuelles sont, la plupart du temps, tarifiées.
« La pornographie est avant tout un objet de divertissement qui a pour finalité la masturbation. »
Cette remarque de Tiffany Hopkins, ancienne actrice X, est particulièrement juste, elle souligne la nature vraie du porno actuel, qui est rarement exprimée. Le porno sert essentiellement à la masturbation masculine, en raison du canal visuel, principal support de l’excitation sexuelle masculine. Cet argument est peu connu ou communiqué, peut-être en raison du caractère trivial de cette activité. La finalité de la pornographie est de stimuler l’activité sexuelle et de contribuer à la masturbation. Le but est donc l’orgasme suite à l’éveil de pulsions suscité par l’image d’un acte sexuel.
La pornographie est donc fortement liée au plaisir sexuel, d’où son côté addictif qui peut en découler que l’on retrouve souvent en accompagnement individuel. La pornographie agit alors comme une drogue, suscitant un visionnage de plus en plus régulier et une masturbation qui peut devenir compulsive.
Il semble toutefois important de dire que la pornographie n’est pas que masculine, de plus en plus de femmes regardent la pornographie. Par rapport à leur enquête de 2008 sur la sexualité en France, Nathalie Bajos et Michel Bozon remarquent que les femmes s’initient de plus en jeunes à la pornographie par rapport à la même enquête de 1992.[1]
Garçons et filles sont donc concernés.
Montrer du sexe ne date pas d’hier, on en trouve déjà dans l’Antiquité.
La pornographie existe depuis toujours et pourtant, on entend souvent qu’il s’agit d’un phénomène nouveau. Or, ce qui est nouveau, c’est sa nouvelle forme et sa diffusion. Les images pornographiques ont été légion dans tout l’Empire Romain. Peintures, sculptures et céramiques, représentant sans complexe des scènes sexuelles, ornaient déjà les riches villas aristocratiques, ainsi que les lupanars dans l’Antiquité. Ces représentations étaient sensées favoriser l’appétit sexuel des hommes.
Au début du siècle dernier, les premiers films pornographiques étaient tournés dans les maisons closes et visionnés pour faire patienter les clients. La littérature n’est pas en reste dans ce domaine. Le marquis de Sade, au 18ème siècle, fut un des premiers écrivains à incarner la sexualité cachée, taboue, quasiment interdite, coupable si elle est accompagnée de plaisir. Ce type de littérature était cantonné dans une sorte de ghetto culturel et réservé à une élite masculine et lettrée.
On voit combien la pornographie était destinée à une population adulte, masculine, cultivée, et diffusée dans certains lieux bien définis.
Aujourd’hui, en ce début d’année 2018, la pornographie est une véritable industrie.
Elle est accessible à tous, à tous âges, en tous lieux, à toute heure. L’essor des nouvelles technologies a participé à l’étendue tentaculaire de la diffusion de la pornographie à toutes les strates de la population. Les barrières ont explosé, la pornographie est rentrée dans le domicile familial.
Sur la jeune population, le porno est un dévoilement brutal de ce qui devrait rester voilé. Ce dévoilement empêche d’imaginer la sexualité par soi-même. Or, le développement de l’imaginaire et des fantasmes est primordial pour la construction d’une sexualité épanouissante. De plus, la pornographie est pernicieuse car elle utilise l’image. L’image est le type de représentation qui parle le plus directement aux sens.
« On dit de l’image qu’elle est très performante : elle équivaudrait à 5000 mots. Les psychologues soulignent également qu’elle possède des pouvoirs de pénétrance et de communication qui sont nettement supérieurs à la parole. C’est un vecteur d’émotion considérable »[2]
Face à ses images, il est urgent de parler, de nommer les choses. Mes nombreuses rencontres avec les jeunes me prouvent combien ils se sentent libérer quand on leur offre un espace de paroles.
« Ici, on a pu dire des choses qu’on ne dit pas »
Avec l’éducation à la sexualité qui fait cruellement défaut en France, la pornographie prend toute la place, elle est devenue le 1er éducateur à la sexualité, elle est devenue un nouveau rite de passage, passage et initiation obligés. Nous ne jouons pas notre rôle d’adultes responsables vis-à-vis d’eux et nous laissons faire en ne faisant rien au niveau national.
« Sous réserve de pudeur, on laisse l’impudeur la plus totale s’installer. »[3]
J’aimerai vous dire combien nos ados se sentent seuls face à leurs changements physiologiques et psychologiques. Ils vivent une véritable révolution somatique et psychique et nous les laissons quitter leur monde de l’enfance, théoriquement asexué, pour réincorporer un monde pratiquement sexuel d’adultes potentiellement procréateurs sans aucuns enseignements oraux.
Il est urgent d’intervenir et d’aider les jeunes à déconstruire ces modèles de sexualité que leur propose la pornographie. J’en ai fait mon métier mais il est important que chacun puisse en parler avec eux. On les met en garde sur la violence, il est important de les mettre en garde sur le respect dans la sexualité. Plus ils seront éduqués, mieux ils sauront se protéger.
Ne pas les culpabiliser sur ces éventuels visionnages, leur dire combien il est normal qu’ils s’interrogent sur cette sexualité qui leur arrive de plein fouet dans le corps, dans la tête, dans le cœur. La sexualité rend curieux et ce depuis le jeune âge. Une des premières questions n’est-elle pas : « Comment on fait les bébés ? ». Leur curiosité a donc besoin de réponses claires, respectueuses et il faut les aider à frapper aux bonnes portes et non pas qu’à celle d’internet.
Leur dire que la sexualité montrée et jouée dans la pornographie n’est pas la sexualité réelle. Que tout y est faux, que tout y est artifice : l’enchaînement des actes sexuels, les positions, les performances physiques, les bruitages… Que la sexualité n’est pas qu’une histoire de sexe mais c’est aussi et surtout une histoire de relation (relation à soi, relation à l’autre).
Que montre, en effet, la pornographie de la relation amoureuse ? Que montre-t-elle des sentiments, de la relation ? Montre-t-elle des échanges autres que physiques ?
Qu’est-ce que la sexualité ? Osons dire que la sexualité procure du plaisir, que le plaisir sexuel n’est pas un gros mot, qu’il existe et que c’est pour cela qu’il rend si curieux et qu’il attire. Le rôle procréatif de la sexualité semble toujours plus évident à aborder mais nos jeunes nous attendent aussi sur cette notion du plaisir.
Parler de sexualité n’est jamais simple alors pensez plutôt, pour être plus à l’aise, à ce que vous aimeriez dire à votre fils, à votre fille, à un jeune sur le sujet de l’amour, des relations, des sentiments, du respect de soi, du respect de l’autre…
Voilà ce qu’il me parait important de te dire pour t’aider à grandir…
Agissez pour que, pour tout être humain, la découverte de l’amour et de la sexualité reste une expérience inédite au cœur de chaque vie et non pas quelque chose de dicté ou d’imposé…
Bénédicte de Soultrait
[1] N. Bajos et M. Bozon, Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, La Découverte, 2008, p.279
[2] Gérard Bonnet, Défi à la pudeur – Quand la pornographie devient l’initiation sexuelle des jeunes, Albin Michel, 2003, p.126
[3] Gérard Bonnet, idem