S’il est bien des associations de mots qui interpellent, celle de la sexualité et de l’enfance en fait partie. C’est bien connu, les enfants sont des anges et … les anges n’ont pas de sexe !
Et pourtant l’être humain à tous les stades de son évolution d’avant sa conception jusqu’à sa mort vit la sexualité dans toutes ses dimensions : biologique, affective, relationnelle, spirituelle. Cette sexualité s’inscrit dans une société déterminée. La façon dont l’enfant va être imaginé, pensé, désiré, attendu, porté, bercé dans la matrice maternelle puis accueillis dans sa famille humaine va modeler, imprimer sa façon d’Etre au monde. Regardé, cajolé, soigné, encouragé ou au contraire, délaissé, ignoré, mal traité le corps garde l’empreinte des premiers échanges, ce souvenir soigneusement enfoui au fil des années va, comme une rivière souterraine, irriguer la vie relationnelle de cet humain.
« La sexualité ne s’enseigne pas, elle se dialogue » disait Françoise Dolto. Un dialogue ininterrompu tout au long de la vie qui prend naissance dans la relation entre les enfants et leurs parents, se poursuit dans la relation des enfants et des adolescents entre eux, pour s’épanouir dans la relations des adultes entre eux. Pour comprendre ce dialogue il faut comprendre qui parle, comment il en parle et ce que les lois humaines permettent ou non.
La sexualité infantile n’est pas une sexualité d’adultes.
OUI les enfants vivent la sexualité.
NON ce n’est pas la même que celle des adultes
La compréhension de ces affirmations est fondamentale : La motivation dans la sexualité adulte est régie par la recherche du plaisir génital et du désir de procréation. La motivation dans la sexualité de l’enfant relève de la curiosité, de son ouverture au monde, de sa découverte de lui-même et des autres, de la recherche d’informations sur ce qu’il ressent, sur son identité, sur les mystères de la vie.
Il est impératif pour le parent, l’éducateur, l’adulte de ne pas projeter sur l’enfant sa représentation de la sexualité car il se trompe. Le rôle des adultes est d’organiser un cadre sécurisant pour que ce développement psycho-affectif puisse s’épanouir pleinement.
Le rôle de l’adulte est de nommer les nouvelles découvertes de l’enfant, de lui expliquer le fonctionnement et les codes du groupe auquel il appartient. Le rôle de l’adulte est d’accompagner cette découverte par des mots mais l’adulte est exclu du vécu de l’expérience sexuelle. Nommer toutes les parties de son corps, apprendre à l’enfant à reconnaître ce qu’il ressent, à faire confiance à ses ressentis, accepter le « non » de l’enfant lorsqu’il ne veut pas être embrassé pour dire bonjour, lui apprendre qu’il ne peut pas toucher les parties intimes des autres et que personne ne peut le toucher dans son intimité, qu’il y a des secrets qui rendent heureux que l’on peut garder, qu’il y a des secrets poisons qui font souffrir qu’il faut absolument dire. C’est cela l’éducation à la sexualité chez l’enfant.
L’adolescence, l’âge de tous les possibles et des fragilités
A certaines époques et dans certaines cultures un rite de passage permettait comme son nom l’indique de signifier la fin de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte. Aujourd’hui, dans notre société occidentale, ce rite a disparu et a laissé la place à la notion d’adolescence, période qui s’étire de plus en plus dans le temps, intermédiaire inconfortable qui pourrait se résumer par « trop grand pour rester un enfant, encore trop petit pour être un adulte ». Les transformations liées à la puberté vont projeter l’enfant dans un corps avec une capacité à se reproduire et à vivre une sexualité d’adulte. Ce processus de transformations corporelles qui n’a pas été décidé par l’adolescent va devoir s’accompagner petit à petit par un processus de maturité psycho-affective. Ces processus s’inscrivent dans le temps, ils vont prendre plusieurs années. L’adolescent va vouloir exclure de ses expériences ses parents et les adultes en général.
L’adolescence, âge de tous les possibles : il y a chez l’adolescent l’envie de tout expérimenter, de faire « comme les adultes » un sentiment de toute puissance qui le rend invulnérable. Il se projette peu dans l’avenir, « tout, tout de suite » pourrait être sa devise.
L’adolescence, âge de la fragilité : l’adolescent se cherche dans le regard des autres, cherche la reconnaissance de sa féminité, de sa masculinité, de son identité. Recherche affective, doutes, questionnements vont être ses compagnons pendant ces années.
Le rôle de l’adulte va consister à le rassurer sur ces changements, à l’aider à réfléchir en se posant des questions telles que : « qu’est-ce que je veux vivre ? Quelles sont les conséquences que mon comportement peut provoquer ? Quelles sont mes valeurs ? Qu’est-ce que je veux pour ma vie ? Le rôle du parent est celui de l’explication du sens des limites,
OUI les adolescents ont une sexualité. OUI ils ont le droit à un espace privé, loin du regard parental pour la vivre. OUI il y a des limites dans la sexualité, celle du consentement notamment mais pas seulement. La sexualité va se découvrir dans l’expérimentation entre pairs. Si l’objet du désir se porte sur l’adulte, c’est à l’adulte de poser les limites : celle de l’interdit, celle de la Loi.
L’interdit protège l’individu de lui-même
Si en matière de sexualité, personne n’attend l’âge de 18 ans (la majorité) pour vivre des émotions, des sentiments, des désirs dans son corps, il appartient au monde des adultes de poser des limites de ce qui est permis et de ce qui est interdit, cela s’appelle la LOI.
Loi naturelle qui sépare les générations et qui exclut les adultes du monde des enfants et des adolescents. Peut être que c’est bien de cela dont il s’agit aujourd’hui dans une société qui fuit la vieillesse et la mort : le refus des limites générationnelles, la confusion. L’adulte ne peut revenir en arrière et vivre une deuxième jeunesse en fréquentant sexuellement des adolescents. De la même façon, en étant exclu du monde des adultes, l’enfant puis l’adolescent puisera dans cette frustration ce désir de grandir, cette envie de découvrir encore et encore.
L’interdit de l’inceste, l’interdit d’une sexualité génitale entre l’adulte et l’enfant protège l’enfant, l’adolescent et l’adulte. Nous ne décidons pas de notre attirance sexuelle. Ce qui est interdit ce n’est pas le désir, c’est le passage à l’acte dans certaines conditions. Quand l’adulte ressent de l’attirance pour un enfant ou un adolescent, quand l’excitation sexuelle n’existe que dans ce scénario, cet adulte doit trouver le professionnel qui va l’aider à vivre autrement sa sexualité.
« Les interdits ne sont pas là pour embêter, ils sont nécessaires à la structuration de l’individu, du groupe et de la relation entre les deux »*. Encore faut-il que ces interdits soient clairement définis.
Sophie Lortat-Jacob
* Elisabeth Leblanc-Coret, Pierre Coret « Bien communiquer avec son ado », Ed. Jouvence 2010